UN PROJET QUI VIENT DE LOIN …
Ce projet est né d’un « alignement de planètes » il y a trois ans.
Lors de la réalisation de ma première série d’été radiophonique sur France Musique en 2019, sur la grande violoniste Ginette Neveu (1919-1949), la question des femmes et du violon s’est imposée à moi. Mais où étaient les femmes dans l’histoire des grands musiciens ?
L’aventure s’est poursuivie à l’été 2020 quand je suis partie sur les traces des grandes violonistes. Puis cet été, je me suis intéressée aux « musiciennes de légende », tous instruments confondus.
Chaque année, ma conviction s’est renforcée : il fallait faire savoir ce dont ces femmes avaient été capables et les faire – enfin – entrer, aux côtés de leurs collègues masculins, au panthéon de la musique.
Cette recherche a donc nourri l’écriture d’un livre composé d’une trentaine de portraits de grandes musiciennes du XIXe et XXe siècles qui ont marqué leur temps et auxquelles, pour la plupart, l’histoire de la musique n’a pas rendu justice. Un « beau » livre comme on dit dans le monde de l’édition car en plus des textes, ce sont aussi de nombreuses illustrations pour chacune d’elles, une belle recherche iconographique et une vraie mise en images : il était essentiel de rendre ces musiciennes « visibles » au sens littéral du terme.
Ce livre a nécessité un travail colossal car les ressources sur ces femmes étaient éparpillées. Il m’a fallu recouper des informations issues de différentes biographies de grands musiciens, des articles universitaires de revues musicologiques européennes et américaines, ou des coupures de presse historiques et extraits de revues de référence musicales. En plus de ces lectures, ce sont de longues conversations des amis musiciens passionnés, que j’ai saturés de questions, de longues heures à fouiller la discothèque de Radio France, les archives INA, les fins fonds de YouTube où certains mélomanes postent des perles.
Il y a eu des moments de désespoir où je me sentais submergée, moi qui avais peur qu’il n’y ait pas assez de « matière », il y avait soudain trop de pistes éparses, il fallait aussi faire une sélection : une boîte de Pandore ouverte, sans fond et sans fin. Je me sentais bien seule face à une telle quantité et à cette responsabilité…
Et puis, il y a eu des moments « Eureka », notamment celui qui m’a menée sur les pas de la violoniste américaine Camilla Wicks (1924-2020).
Au printemps 2020, je repère dans un paragraphe d’un livre sur les grands violonistes le nom de Camilla Wicks en bas de page, une ligne la mentionnant comme l’une des grandes interprètes du concerto de Sibelius. Une ligne, vraiment ? Je veux en savoir plus.
J’écoute alors son 2e concerto de Wieniawski, un enregistrement de concert au Hollywood Bowl de Los Angeles, elle a 17 ans ! Et là, je suis saisie par ce que j’entends. Non, ce n’est pas une bonne violoniste, c’est une très grande ! Elle « crève » le micro, comme on dit d’une actrice qu’elle crève l’écran. Quelle virtuosité, quel engagement, quel panache ! Mais comment est-ce possible que je ne la connaisse pas ?
S’engage alors une folle aventure, un véritable jeu de pistes.
Au détour d’un article Wikipédia, je repère le nom d’un de ses anciens élèves, que je ne connais pas personnellement mais dont je me souviens que nous aurions dû nous croiser dans un festival en Angleterre. Dans la foulée, je contacte tous mes collègues susceptibles de le connaitre. En quelques heures, j’ai ses coordonnées. Il me met en lien avec un groupe de personnes dont sa fille. La magie est en marche. Touchée par ma démarche, après une longue conversation, elle réussit à me mettre quelques minutes en ligne avec sa mère qui a alors 92 ans. Je parle à Camilla Wicks ! Après avoir écouté ses autres enregistrements, il devient évident que je dois lui consacrer une émission. Je regarde le calendrier, là encore, magie : un an après Ginette, ce sera le 9 Août 2020, le jour de l’ anniversaire de Camilla !
Camilla Wicks aura même entendu l’émission depuis la Floride où elle résidait : une joie profonde d’avoir pu lui rendre hommage de son vivant (elle décèdera en Novembre 2020).
Inspiration
Si j’ai « tenu le coup » dans cette folle entreprise, c’est parce que la découverte des parcours de vie de ces femmes a été une source infinie d’inspiration et de réflexion – chaque histoire m’a profondément touchée. Et cela a renforcé ma conviction qu’il était temps que ces grandes musiciennes passent de l’ombre à la lumière, et qu’il fallait absolument partager leurs histoires !
Pour finir, j’ai envie de vous raconter ce moment de Juillet 2021, une demi-heure avant de rentrer sur scène. Je m’apprête à donner un récital en violon seul consacré à Jean-Sébastien Bach . Alors que je suis en plein processus d’écriture du livre et en plein milieu de l’écriture et de la production de la 3e série radiophonique pour France Musique, je suis épuisée. Les concerts ont repris avec un rythme intense de tournée.
Que faire ? Où trouver la force ? Soudain, je repense à Maria Yudina, grande pianiste et interprète de la musique du « cantor de Leipzig », musicienne sur laquelle je suis en train de faire mes recherches.
Je l’invoque, elle pour qui chaque concert était une mission, un moment de transcendance, de mise en contact avec le mystère, l’interprète dans son acte de médiation le plus pur. Et je sens aussitôt une regain d’énergie et surtout un alignement, mes inquiétudes tombent et surtout j’entrevois le chemin. Le concert sera une expérience de reliance.
De même, quelques semaines plus tard, je repense à la flamboyante Ida Haendel avant de jouer le concerto de Bruch…et je me sens portée.
Ces musiciennes ont guidé mes pas et m’ont donné une énergie incroyable – avant de rentrer sur scène mais aussi chaque matin où j’ai pris la plume ou chaque nuit où, réveillée par une insomnie, j’ai poursuivi mes recherches…
Autant vous dire que j’ai très hâte de partager ce livre avec vous !