#50 - Sisyphe ou la condition de musicien
Une histoire de violoncelliste, de Bach et...de temps long !
« Atelier de Marina » sur Facebook – tous les Vendredis de 18H à 18H45 sur ma page Marina Chiche – violoniste.
Un rendez-vous informel où je vous ouvre les portes de ma salle de travail !
Chers amis,
après Leonard Bernstein et Nadia Boulanger la semaine dernière, j’ai envie de vous parler d’un autre immense artiste, qui brille fort au panthéon des musiciens du XXe siècle !
Il s’agit du violoncelliste espagnol, Pablo Casals. (1876-1973)
Cet immense artiste a marqué son temps et a traversé le XXe siècle … dans toute sa complexité.
Un musicien plus que complet, aux connaissances encyclopédiques, qui n’a pas hésité à agir selon un engagement politique sans compromis, contre le franquisme et toute forme de fascisme.
Sa mémoire reste fortement attachée à son festival à Prades, créé dans les années 50, où les plus grands musiciens du monde entier venaient le retrouver « chez lui » pour faire de la musique ensemble.
Bien sûr, comment ne pas évoquer sa version légendaire des Suites pour violoncelle de JS Bach.
Ecoutez-plutôt !
Mais pourquoi pensais-je à Casals ces jours-ci ?
Musicien - Profession ?
Lors d’une interview cette semaine, on me posait la question de mon rapport à ma « profession »… le temps consacré à ma vie professionnelle par rapport à ma vie personnelle.
Vaste sujet
Il y a plus d’un an j’avais d’ailleurs écrit un article sur mon blog intitulé « Profession – Musicien« .
Et je concluais ainsi :
» Musique :
passion, vocation ou profession ?
Oui, la musique peut être un métier. Il y a un aspect économique.
Il y a aussi l’aspect de labeur, d’exercice, de quotidienneté de la pratique. Donc métier, comme remettre chaque jour sur le métier son savoir-faire.
C’est aussi un travail, un job.
Une profession – aussi comme une profession de foi. Une pratique de dépassement de soi.
On pourrait dire aussi que c’est un métier-vocation.
J’aime beaucoup le fait qu’en allemand il y ait un lien étymologique si clair entre Beruf (métier, profession) et Berufung (vocation).
Faire de sa vocation sa profession ?
Une contradiction, parfois…Une bénédiction, souvent ! «
Alors oui, la question n’est pas anodine pour un musicien. Profession, vocation mais aussi réalisation dans le temps…
Le temps long d'une maturation artistique
Car un aspect que l’on oublie souvent de dire et de percevoir pour la vie d’un musicien, c’est que son développement s’inscrit dans un temps long – à la différence de certains sports ou disciplines.
C’est d’ailleurs un processus parfois à contre-courant de la fascination provoquée par le phénomène de prodige, de la précocité…
Cette « maladie généralement fatale » comme le disait le violoniste Jascha Heifetz, dont il disait avoir échappé de justesse !
Il en existe de nombreux cas assez tragiques…
Le prodige exposé comme au cirque, dans une logique de performance a souvent du mal à se développer… (je vous en parlerai une prochaine fois ! )
On est loin de l’acte d’interprétation, d’un phénomène de maturation, artistique ou technique d’ailleurs.
Vieillir comme un bon vin...
Le parcours de Casals montre justement un cheminement, une carrière inscrite dans le temps long (il jouait encore à plus de 90 ans), un processus de révélation, d’expansion.
Casals, musicien au talent protéiforme, jouait chaque matin au piano un prélude et une fugue du Clavier bien tempéré, de Bach, puis, au violoncelle, l’une des six Suites.
Il existe une anecdote célèbre.
Quand on demanda à la fin de sa vie à Casals pourquoi il continuait à « practice » (travailler), il répondit :
« Because I have the feeling I am still making progress. »
Parce que j’ai l’impression de continuer à faire des progrès !
Impressionnant à plus de 90 ans
Même si – entre nous – je suis convaincue de l’impact positif de la pratique musicale, aspect documenté d’un point de vue des neurosciences (on parle de neuro-plasticité et même neuro-génèse !)
Au-delà de la routine, le chemin !
La philosophie de Casals incarne tellement l’essence de cette quête asymptotique du musicien, une quête infinie …
N’est-ce pas bouleversant d’imaginer cet homme remettre chaque jour sa pratique sur l’établi, avec l’humilité d’un « artisan d’art » ?
Et ainsi transformer cette pratique qui peut être vécue parfois comme une contrainte, un fardeau, une malédiction, en bénédiction, en instrument de liberté et d’expansion.
Mais ce dont parle Casals, c’est bien plus qu’une routine !
D’ailleurs… je n’avais jamais remarqué mais la routine ne serait-ce pas une petite route (n’est-ce pas ?!), un sillon déjà tracé par l’habitude ?
Auquel on pourrait opposer le chemin au sens le plus noble du terme, celui du « dao/tao » (le chemin spirituel) ou « michi »(en japonais). On retrouve le caractère chinois du dao dans plusieurs disciplines comme le ju-do…(la « voie » de…)
Sisyphe, ce musicien !
L’histoire de Casals et de son rituel matinal m’a fait penser au Sisyphe de Camus.
Chaque matin reprendre l’ascension de sa montagne et faire rouler son rocher, à bout de bras, en sachant qu’une fois en haut, le rocher dévalerait fatalement la pente….tâche infinie…
Et pourtant…
« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme », nous dit Camus.
Eh bien, maintenant j’en suis convaincue. Sisyphe devait être musicien !
«Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose»
Et vous, quel rocher portez-vous en haut de votre montagne chaque jour ?
P.-S.1:
Merci mille fois pour vos messages qui me vont droit au coeur ! Je vous réponds dès que possible … la période est riche en projets dont j’ai hâte de pouvoir vous parler prochainement !
P.-S.2:
J’espère que vous et vos proches vous portez bien, que le déconfinement progressif ouvre de nouvelles perspectives !
Très affectueusement,
Marina 🎻
🎬
- Cet article vous a plu ?
Partagez-le 😃
- Vous avez des réactions ?
Parlons-en dans les commentaires du blog ! Je les lis tous ! ✍️
ou
écrivez-moi à : info@marina-chiche.com
- On vous a fait suivre l’e-mail et vous voulez vous inscrire, c’est 👉 ici