#49 - I had a dream...
Une histoire d'Amérique, de médiation et...d'atelier !
Chers amis,
cette semaine j’ai envie de vous parler de musiciens qui parlent !
Car oui, cela existe… et cela a existé !
Souvent j’entends dire que les musiciens ne prennent pas la parole ou n’aiment pas la prendre…
Bien sûr, il existe cette idée que c’est dans l’au-delà des mots que se situe le discours musical et que donc le musicien, de fait, ne s’exprimerait vraiment qu’à travers son instrument, à travers l’œuvre qu’il joue.
Lors des récitals « traditionnels », il y a ce rituel de l’artiste muet, lointain sur la scène sur son piédestal.
Impossible d’imaginer sa voix, excepté peut-être si elle ou il annonce un « bis » à a fin.
Et encore, souvent…on n’entend rien et tout le public se met à murmurer : « Qu’est-ce qu’il/elle a dit ? »
L’idée qu’un musicien ne soit pas supposé parler m’a d’ailleurs longtemps gênée dans mes études de musicologie que j’avais l’impression de mener en cachette, de manière transgressive.
Pourquoi avais-je toujours besoin de mettre des mots sur la musique et sur mon expérience musicale ?
Pourquoi avais-je ce besoin de lire sur la musique et les compositeurs, et de vouloir « conceptualiser » des choses ?
Le violon aurait dû largement me suffire…
Bien sûr, rien ne pouvait (et ne peut !) remplacer l’expérience du concert, la magie d’une communication et d’une communion avec le public autour d’une œuvre aimée.
Et pourtant…
Dès les premiers séminaires que je donnais à Sciences Po (il y a plus de dix ans maintenant !), quelle joie !
Voir les yeux de mes étudiants briller en s’ouvrant à des œuvres comme le Sacre du Printemps de Stravinsky ou la Pastorale de Beethoven.
Ou à la fin d’un concert-lecture où je joue et présente des œuvres comme dans mon programme Violon+, des spectateurs aux Flâneries musicales de Reims venant me dirent qu’ils ont l’impression d’entendre « mieux » !
Alors, aujourd’hui j’aimerais vous parler de deux musiciens que je fréquente assidûment en ce moment, deux exemples extraordinaires de « musiciens qui parlent » !
Le premier est un immense chef, compositeur, pianiste américain. Je vous en parlais déjà la semaine dernière dans ma lettre « Who is the boss ? ».
Vous vous souvenez ?
Leonard Bernstein (1918-1990)
Oui, c’est bien lui !
Je vous racontais le grand Lenny prenant justement la parole lors d’un concert à Carnegie Hall pour faire un « disclaimer » avant de diriger le 1er concerto de Brahms avec Glenn Gould en soliste.
Eh bien…j’ai passé les derniers jours avec lui… en réécoutant ses fameuses Lectures à Harvard.
The unanswered question
Les lectures à Harvard données par Bernstein sont cultes et un exemple ultime de ce qui peut se faire comme communication sur la musique.
Cette série de conférences fut le résultat d’une année passée en résidence sur le campus. Bernstein devait y habiter, y encadrer les travaux de certains étudiants et donc donner un cycle de six conférences publiques.
A l’automne 1972 Bernstein arriva donc sur place. C’était un « Harvard boy » lui-même – il était à la maison. De plus sa fille était à la même époque, au Radcliffe College, « l’annexe féminine » de Harvard…
Incroyable expérience… il fut si populaire sur le campus qu’il fut désigné « Man of the year » par les étudiants.
Un des aspects les plus fascinants de l’approche de Bernstein, outre son charisme absolu, c’est la dimension interdisciplinaire qu’il insuffla à ses « lectures ».
Un des points d’appui pour créer un système de références pour Bernstein est la linguistique. Il cite régulièrement Noam Chomsky.
Pour résumer rapidement, Il file la métaphore de la musique comme langage en déclinant :
- phonologie (son)
- syntaxe (structure)
- sémantique (signification)
Mais bien sûr, son propos va bien au-delà.
Outre la pertinence et la légitimité de cette métaphore d’un point de vue des théories musicales historiques, Bernstein produit un dénominateur commun d’une puissance extraordinaire et rend l’élaboration de son propos compréhensible, tangible pour tous. Une vraie accessibilité…
"Mademoiselle" Boulanger (1887-1979)
L’autre immense artiste avec laquelle je passe beaucoup de temps en ce moment et dont je veux vous toucher mot, c’est Nadia Boulanger (1887-1979).
Oui, j’ai de drôles de fréquentations…
Nadia Boulanger, cette femme exceptionnelle qui traversa le XXe siècle fut parfois appelée l’autre « mademoiselle » avec Coco Chanel.
Son impact sur le monde musical fut énorme :
compositrice au début de sa vie, elle fit une immense carrière de pédagogue de la musique. Presque tous les compositeurs du XXe passèrent dans sa classe ou lui demandèrent conseil. La liste est infinie d’Igor Stravinsky à Aaron Copland en passant par Astor Piazzolla ou Philip Glass.
Nadia Boulanger mena aussi une carrière étonnante de cheffe d’orchestre, à une époque où diriger des orchestres (essentiellement masculins) était impensable…
Elle fut par exemple la première femme à diriger le Boston Symphony Orchestra ..
Pourquoi je vous parle de la grande Nadia ?
D’abord parce que je suis en train de co-écrire un podcast sur elle pour une Université américaine. Et cette plongée dans des archives d’université américaine est passionnante.
Mais à l’instar de Bernstein, Nadia était une grande communicante sur la musique. Ou plutôt : Bernstein, à l’instar de Nadia Boulanger, devrais-je dire !!
En effet, toute sa vie, elle donna des conférences sur la musique. D’ailleurs dans les années 1937-38 elle fit escale à Harvard pour donner des « lectures » publiques sur les cantates de Bach ou sur les sonates et quatuors de Beethoven.
Pendant la 2e Guerre mondiale, elle enseignera d’ailleurs à temps plein aux Etats-Unis.
Dernier clin d’oeil, elle eut une relation d’amitié avec Lenny Bernstein, qui, bien plus jeune qu’elle, s’inclinait avec admiration et respect devant Mademoiselle.
j’aurais plein de choses à vous raconter sur la grande Nadia Boulanger et je le ferai dans un prochain article, promis !
L'incarnation de la médiation
Pour revenir à mon propos du jour, que ce soit avec Lenny Bernstein ou Nadia Boulanger, ce qui frappe dans ces médiations incarnées, c’est :
- la capacité à créer des liens, des résonances à travers l’histoire de la musique et entre les arts.
- l’inventivité pour créer ces dénominateurs communs, et le maniement virtuose de ce que j’aime appeler l‘art de la métaphore !
- et aussi, cet enthousiasme musical, une musique vécue comme quelque chose d’existentiel.
Comment ne pas être médusé, captivé, emporté par leurs explications ?
A force de « passer du temps » avec eux…
I had a dream…
A quoi ressemblerait une telle conférence de nos jours ?
Comment arriver à transmettre un discours qui rende des choses parfois complexes – possibles à appréhender par le plus grand nombre – sans jamais dénaturer le propos et l’ambition artistique ?
Et si on pouvait retrouver ou réinventer cette manière de parler de la musique ?
D’ailleurs l’enjeu, comme dans toute forme de médiation, n’est sans doute pas de faire comprendre mais de rendre sensible, de donner à percevoir !
Je me souviendrai d’ailleurs toujours des mots que me dit la brillante compositrice britannique Rebecca Saunders l’été dernier.
Rebecca Saunders a été la première femme compositrice à recevoir le Ernst von Siemens Preis en 2019 : énorme marque de reconnaissance, on dit parfois que c’est le Prix Nobel de la musique ( prix doté de 250 000 euros ;-).
Notre rencontre eut lieu à Paris à l’IRCAM, une interview que j’écrivais pour le magazine Transfuge.
Après un long moment d’échange, elle me dit soudain (en anglais):
» Vous savez, souvent les gens pensent qu’il y a quelque chose à comprendre quand ils entendent une musique. Mais c’est un malentendu. Ce qui compte, c’est la curiosité et l’ouverture à recevoir quelque chose de nouveau.«
Eh bien, il me semble que l’acte de prendre la parole en tant que musicien, c’est précisément d’aller au bout de la mission de l’interprète, au sens d’être un intermédiaire.
La prise de parole sert alors l’objectif qui est de susciter la curiosité chez le public, de provoquer sa disponibilité et par là même, de créer les conditions de réception !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
P.-S.1:
Suite à de nombreux messages, j’ai décidé de poursuivre l’aventure de l’Atelier – mais à un rythme hebdomadaire !
Si vous voulez me rejoindre, je serai en direct sur Facebook. De 18H à 18H30 les Vendredi !
En plus, du Facebook Live, les épisodes sont aussi disponibles en replay.
P.-S.2:
J’espère que vous et vos proches vous portez bien, que le déconfinement apporte prudemment l’oxygène, dont nous avons tous tant besoin !
Très affectueusement,
Marina 🎻
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