#13 - La discothèque idéale
une histoire d’idoles, de bibliothérapie, et de… cassettes-audio ! 🐮📚🎤
Avant de commencer,
📷 Petit rappel
*** 1er stage sur Paris : Gestion du trac au service de l’expression sur scène ***
les 19 et 20 Janvier ainsi que les 26 et 27 Janvier 2019 de 10h à 13h.
Pour ceux qui ne seraient pas libres à ces dates, un atelier unique le Samedi 2 Février 2019 de 14h30 à 17h30.
Nombre limité de places
Date d’inscription: jusqu’au 31 Décembre 2018.
Toutes les infos, conditions et contact ici : http://ateliersviolon-marinachiche.strikingly.com
***
✍️Cette semaine j’aimerais d’abord partager avec vous une interview que j’ai donnée pour le site Akadem. C’était l’excellent Frédéric Hutman qui menait l’entretien.
C’est toujours un plaisir de parler avec lui car en plus d’être quelque de très bienveillant, Frédéric, avocat de profession, est un mélomane exceptionnel. Il a une connaissance infinie sur les grandes interprétations et sur les gravures discographiques. Ce dont nous adorons parler…
Et d’ailleurs, cela n’a pas manqué. Lors de cet entretien, nous avons parlé, entre autres, de mes idoles violonistiques et nous avons forcément évoqué the one and only, le grand Jascha Heifetz.
Suite à cette interview, je me suis dit qu’il était temps que je vous parle de Jascha H. et de ses disques qui ont tant compté pour moi. En effet, Heifetz, c’est un peu mon idole…absolue. Ceux qui me connaissent le savent…c’est celui auquel je ne peux renoncer, celui auquel je reviens encore et toujours. 💘
La fréquentation de ses disques a littéralement alimenté ma formation musicale et violonistique, elle a déterminé mon imaginaire sonore. Dans ma discothèque idéale, il est omniprésent.
L’objet-disque 💽
J’aimerais aussi vous parler de l’objet-disque. A l’ère du tout digital, cela peut sembler extrêmement « rétro » voire à contre-courant.
Pourtant, n’en croyez rien ! Cela n’est pas contradictoire.
Sans être une geek (mais alors, vraiment pas !), je suis fascinée par les nouvelles technologies et ce qu’elles apportent au monde de la musique classique. Evidemment j’écoute la plupart du temps des MP3 et de la musique en streaming.
Et en ce moment, cela bouillonne du côté des App musicales, dont certaines avec un potentiel pédagogique incroyable ! Je vous en reparlerai très bientôt d’ailleurs #NomadPlay
Pour autant, la découverte de certaines œuvres et de certaines interprétations reste à tout jamais pour moi liée à certains objets : un CD voire même une cassette-audio (si si, je vous assure !) avec une couverture bien particulière.
J’en ai usée des cassettes…j’ai même rayé des CDs !
De la bibliothérapie à la discothérapie
En littérature, j’aime beaucoup le concept de bibliothérapie que développe Marc-Alain Ouaknin dans son livre éponyme (M-A. Ouaknin dont je parle d’ailleurs dans l’interview pour Akadem).
L’idée-phare de ce livre, c’est que la lecture a des vertus thérapeutiques, dans la mesure où elle remet l’âme en mouvement quand on trouve le bon livre au bon moment.
On est au niveau de la « Seelenbehandlung » dont parle Freud au début de la psychanalyse…littéralement le traitement de l’âme !
👉Je vous recommande chaleureusement ce merveilleux livre (mise en abîme du concept – j’ai lu ce livre au bon moment!)
Écouter le bon disque au bon moment… quelle bénédiction !
Bien sûr, on parle souvent de musicothérapie. Ce terme générique fait souvent référence à l’effet de la musique au sens large. Il existe par exemple des études en milieu hospitalier sur l’impact positif dans le processus de guérison de certains patients.
Fantastique !
Mais j’aimerais y ajouter ici la précision que ce n’est pas seulement l’œuvre musicale qui produit cet effet, ni l’onde musicale en général mais précisément cette interprétation gravée avec une certaine prise de son et que l’on peut écouter dans un moment d’intimité, un moment choisi – hors d’une salle de concert.
Une dégustation musicale, à répétition parfois.
On pourrait ainsi dire qu’il s’agit alors de On pourrait ainsi dire qu’il s’agit alors de discothérapie !
Et oui, cela peut sembler sacrilège de donner tant d’importance aux interprétations et aux interprètes.
Car pour moi, la hiérarchie est claire : les Dieux sont les compositeurs et les interprètes, leurs (plus ou moins) humbles serviteurs.
Aren’t they the champions (too) ? 🏆
Mais ne peut-on pas concéder dans cette hiérarchie « cosmogonique » que c’est par la médiation de l’interprète que le mélomane reçoit l’œuvre, que ce soit au concert ou au disque d’ailleurs ?
Peut-on vraiment dissocier l’interprète – de l’œuvre qu’il joue et évaluer distinctement la réception de l’un et de l’autre ?
De plus, comment ne pas être saisi d’admiration pour des interprètes qui arrivent à porter des œuvres à leur maximum et peut-être parfois au-delà d’elles-mêmes ?
On dit d’ailleurs d’un interprète qui « porte » une pièce, qu’il la « défend », qu’il en fait son « cheval de bataille » ! 🐎
En anglais, on dit même « to champion a Concerto ».
Et c’est cette sensation que laissent les « grands » interprètes-virtuoses (au sens littéral, de vertu et de « bravoure » !)
Heifetz est incontestablement le champion de nombreuses oeuvres dont la sonate de Strauss ou du concerto de Korngold.
Je vous en reparle plus tard.
Les disques-révélations !
Revenons encore au livre Bibliothérapie de Ouaknin.
En exergue, Ouaknin cite Vernon Proxton. Avant-propos à Fynn, Anna et Mister God, Éd. du Seuil, 1976, p.7.
Lisez-donc ! 🤓
« Il y a de bons livres, des livres quelconques et de mauvais livres. Parmi les bons, il y en a d’honnêtes, d’inspirants, d’émouvants, de prophétiques, d’édifiants. Mais dans mon langage il y en a d’une autre catégorie, celle des livres-ha !
Les livres-ha! sont ceux qui déterminent, dans la conscience du lecteur, un changement profond. Ils dilatent la sensibilité d’une manière telle qu’il se met à regarder les objets les plus familiers comme s’il les observait pour la première fois.
Les livres-ha! galvanisent. Ils atteignent le centre nerveux de l’être, et le lecteur en reçoit un choc presque physique. Un frisson d’excitation le parcourt de la tête aux pieds. »
Et bien, pour moi, il y a bien eu des « disques-ha! »
Des disques que l’on écoute et dont on « ressort » galvanisé, prêt à grimper l’Everest pieds nus (ou presque…).
Il y a aussi eu les disques qui ont – en plus de leur rôle d’objets-fétiches, ont constitué une forme d’attache émotionnelle. Lors de mon départ de Marseille à Paris à l’âge de 16 ans et demi, ils ont sans doute constitué un point d’ancrage.
Sur les murs de mon studio d’étudiante, j’avais d’ailleurs affiché, au milieu des Unes de foot l’Équipe et des posters de joueurs de l’équipe de France 98, de nombreux posters d’Heifetz et ses disques occupaient une place essentielle dans mon petit espace.
Au delà du côté thérapeutique de ces écoutes, il y a eu pour moi indéniablement un côté pédagogique.
To listen or not to listen !
C’est Jean Ter Merguerian, mon professeur à Marseille qui m’a introduite aux enregistrements d’Heifetz (et d’Oistrakh aussi !!).
Avant, c’était Perlman que nous écoutions à la maison, et Ivry Gitlis aussi. Violonistes que j’ai continué d’adorer.
Ivry…of course !
La découverte d’Heifetz pour moi a marqué un avant et un après.
Et à cette époque, je me suis mise à l’écouter, jour et nuit.
Qui était Heifetz ?
Né en 1901 (même plusieurs sources disent qu’il se serait rajeuni de deux ans !), élève du grand pédagogue russe d’origine hongroise Léopold Auer, il a démarré comme enfant prodige en Lituanie puis en Russie.
Prodige…une « maladie » dont il a « survécu » dit-il. En 1917 il fuit la Russie lors de la révolution bolchévique…puis il s’installe aux Etats-Unis.
…une « maladie » dont il a « survécu » dit-il. En 1917 il fuit la Russie lors de la révolution bolchévique…puis il s’installe aux Etats-Unis.
Je vous laisse chercher pour la suite!
Pour résumer l’importance d’Heifetz dans la planète-violon, on a souvent dit :
, on a souvent dit :
There are violinists and there is Heifetz
Il y a des violonistes et puis, il y a Heifetz.
Souvent on l’a accusé à tort de froideur, probablement car il affichait un visage imperturbable et ne bougeait pas d’un demi-centimètre en jouant.
Moi ce que j’y ai trouvé, entre autres, c’est une incandescence sonore incomparable, un tranchant sidérant dans ces interprétations combiné avec un charme fou.
Bien sûr, il y a aussi son intransigeance dans les choix de tempo par exemple qui le rend si moderne par rapport à d’autres interprètes de son époque. Et oui, il en « impose » à l’orchestre, quitte à être (légèrement ou vraiment) « devant ».
Quelle équipe avec Toscanini !!
Ce que l’on tend à ne pas assez souligner, c’est que Heifetz était un musicien complet, au sens le plus large du terme. Génial arrangeur, il jouait magnifiquement du piano, s’y connaissait en jazz et composait des chansons !
En fait, le malentendu sur sa personnalité musicale, que l’on a qualifiée de froide, réside aussi selon moi dans le fait que son style est un savant mélange de pudeur et d’audace. La classe ! 😎
Et puis il faut mentionner son humour pince-sans-rire avec ses airs de Buster Keaton.
Ressemblant, non ?
Comment douter du sens de la dérision de cet homme quand on regarde cette vidéo ?
Heifetz y fait une parodie, imitation caricaturale mettant en scène une série de défauts d’élèves, communément répandus.
La Jascha-mania : c’est grave ? 😱
Vous comprenez bien que ma Jascha-mania me rend intarissable sur le sujet.
D’ailleurs, si un jour nous nous croisons, ne me lancez pas là-dessus !
Vous pourriez le regretter ! 😅
D’ailleurs dans ma phase de consommation à haute dose, j’ai rendu folle certains de mes professeurs. Notamment Gérard Poulet lors de ma première année d’études au CNSMDP qui m’accusait de jouer « trop vite » et de faire trop de « glissades ». Vous savez, cette manière de relier deux notes en modulant l’expressivité du chemin de l’intervalle.
Il est vrai que je relevais chacune des glissades que le grand Jascha faisait.
Il faut dire que certaines glissades d’Heifetz sont à tomber parterre.
Tout un art !
Alors, oui. A trop écouter un interprète, il y a un risque certain de mimétisme.
Comment construire une interprétation si on pense que l’ultime a déjà eu lieu ? Cela voudrait dire que la pièce est figée à jamais. Or (espérons!), il n’en est rien.
En tout cas, c’est le rôle de l’interprète de remettre l’œuvre en mouvement, de la faire parler à neuf à chaque fois, de la « relire ».
Mais dans le cas d’Heifetz, quelle source d’inspiration !
La force de l’exemple
D’ailleurs dans les beaux-arts, les artistes apprentis commencent par imiter, par reproduire. Faut-il parler du jazz ? Il en va de même dans le yoga ou d’autres disciplines d’ailleurs.
Alors, certes, il peut y avoir une fixation obsessionnelle, adolescente. Il faut à un moment s’émanciper.
Mais qui n’a pas besoin de modèles, de figures sur lesquelles on cristallise et dont on s’inspire ?
Comment ne pas vouloir transposer cette phrase de Ruskin citée par Proust dans Sur la lecture :
« La lecture est exactement une conversation avec des hommes beaucoup plus sages et plus intéressants que ceux que nous pouvons avoir l’occasion de connaître autour de nous ».
Et bien, écouter Heifetz…c’est… 😉 (je vous laisse poursuivre)
Jardin secret, imaginaire…et retour à Ithaque
Là encore, comme avec la lecture, c’est ainsi que l’on développe un savoir parfois non conscientisé. On développe son goût, on cultive son imaginaire dans « un rendez-vous privé avec un autre monde ».
Finalement après une longue phase de sevrage où je me suis interdit d’écouter Heifetz, je me suis autorisée à le réécouter à doses homéopathiques. Non sans inquiétude.
Car j’avais peur de ne pas y retrouver ce que j’y avais tant aimé. Et effectivement, j’ai éprouvé un certain malaise lors des premières ré-écoutes. Déception presque car je n’y trouvais plus les mêmes choses. Un peu quand on revisite après de longues années une ville que l’on a adorée.
Ce que dit magnifiquement la conclusion du merveilleux poème Ithaque de Cavafy (traduction de la merveilleuse Marguerite Yourcenar) :
“Ithaque t’a donné le beau voyage :
sans elle, tu ne te serais pas mis en route.
Elle n’a plus rien d’autre à te donner.
Même si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé.
Sage comme tu l’es devenu à la suite de tant d’expériences,
tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques.”
Et enfin, je me suis retrouvée à adorer à nouveau ses interprétations. Mais sans doute pour d’autres raisons.
Des disques-pépites ! 👑
Avant de clore le sujet (pour cette fois), laissez moi partager avec vous quelques Cds et documents que j’adore par dessus tout for sentimental reasons.
#1- CD des miniatures ou “petites pièces”
Ce disque présentait une sélection de pièces de genre et transcriptions savoureuses. Je l’écoutais probablement tous les jours pendant ma première année d’études à Vienne après le CNSMDP et j’en connaissais l’ordre des pièces par coeur. A trop l’écouter, j’ai réussi à rayer le CD !!
par exemple,
#2- CD Concerto de Castelnuovo-Tedesco I Profeti
Là il s’agit d’un coup de cœur. Je l’ai longtemps écouté sur une K7 à Marseille !
Castelnuovo-tedesco était un compositeur dont je connaissais la musique pour guitare car ma sœur est guitariste (le Concerto et la Sonate en particulier -sont magnifiques !).
Castelnuovo-Tedesco fut un exilé de l’Italie antisémite de Mussolini en 1939. Il s’est installé à Hollywood où il a écrit de la musique de film.
Ce concerto « I Profeti », qui sonne bien comme de la musique de film d’ailleurs, a été écrit pour Heifetz en 1933. Ne dirait-on pas la musique de Ben-Hur ou autre péplum ? 💘
Et sur la K7 que j’avais, il y avait une merveille absolue, d’un autre compositeur exilé à Hollywood : le concerto de Korngold
#3 La Sonate de Franck avec Rubinstein
que j’ai écoutée quotidiennement tout un été en lisant de la littérature française. Une vraie madeleine de Proust…La K7 y est restée 😅
#4 CD- Trios de Mendelssohn (op.69) et de Tchaikovsky
Et bien sûr, impossible de ne pas parler également du film autour du « one-million-dollar trio » composé de Heifetz au violon, du pianiste Arthur Rubinstein et du violoncelliste Gregor Piatigorski.
#5 Mais impossible de ne pas vous faire entendre la Sonate de Strauss :
Cette sonate portera pourtant malheur à Heifetz car quand il ira la jouer en Israël en 1953, il échappera à une tentative d’assassinat commise par un extrémiste juif.
Richard Strauss était un compositeur soupçonné de sympathies avec le nazisme et “banni” en Israël.
Heifetz avait refusé de céder à l’interdiction et décida de le jouer quand même. Il en ressortira avec une grave blessure à l’épaule…
Allez, un bonus !
Le 2e concerto de Prokofieff (le 2e mouvement : joyau des joyaux !)
Ah mais je ne peux pas ne pas mentionner la Fantaisie écossaise de Bruch.
En fait, vous l’aurez compris…je pourrais parler des heures d’Heifetz (et d’autres violonistes ! Si, il y a en quelques autres !) de mon panthéon personnel. Je reprendrai le sujet, c’est inévitable !
Pour l’instant je vous laisse déguster !
Et n’oubliez pas : Bibliothérapie de Marc-Alain Ouaknin d’où sont extraites la plupart des citations que j’ai mentionnées.
Et vous, Heifetz, vous pratiquez ?
Qui a-t’il dans votre discothèque idéale ?
🎬
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