#12 – Carnets de voyage (2ème partie)

#12 - Carnets de voyage (2ème partie)
Une histoire de jeu de société, d’ivoire et de …kebab ! 🤖🐘🍖

Cette semaine je reprends le chapitre « voyages des musiciens ».

 

Souvenez vous la semaine dernière, je vous avais parlé de la musique comme soft-power et objet de diplomatie culturelle. Je vous avais aussi parlé de l’obtention du visa, procédure parfois périlleuse.

 

En espérant avoir eu un réveil qui fonctionnait et un trajet sans entrave, nous étions sur le point d’arriver à l’aéroport.

 

Reprenons notre périple !

 

En y réfléchissant je me suis dit que cette succession d’étapes que le musicien traverse à l’aéroport ressemblait à un jeu de société, un escape-game ou encore mieux, à un livre-jeu dans la série « Livre dont vous êtes le héros ».

 

 

En effet le passage à l’aéroport pour un musicien correspond à une série de choix et de rencontres qui font que ce moment va être agréable voire même un moment de traitement privilégié ou bien, un pur désastre.

 

Imaginez un instant !

 

Dans ce jeu, vous disposez de cartes, de bonus ou de handicaps et d’items qui peuvent selon les cas soit bloquer votre avancée soit vous faire sauter des cases et vous servir de bonus (avancer plus vite, obtenir un surclassement). Un peu comme un capital de “points” de vie et d’un équipement.

 

🎯Le but étant d’arriver à l’heure avec votre instrument en bon état et avec le moral.

C’est parti !

 

Épreuve #1 : l’arrivée à l’aéroport

BONUS
.Vous trouvez un bon café Latte – hors de prix (+)

.Vous croisez un ami musicien que vous ne voyez jamais ! (++)
Vous êtes sur le même vol. (+++ : …à part si vous avez terriblement besoin de dormir /travailler)

 

. Vous enregistrez votre bagage en soute sans oublier de prendre vos partitions, votre ordinateur avec chargeur etc… (+)

Épreuve #2 : le passage du contrôle sécurité

🍭vous êtes en possession d’un ITEM à double effet : par ex. la boîte de violon

 

+ agent de la sécurité mélomane et connaisseur !! (+20 points / statistiquement assez rare)

 

– agent de sécurité indifférent ou terrifié par une boîte à violon (-5 à -100 points)
Retard estimé : entre 15 minutes et plusieurs heures (aéroport de Tel Aviv)

 

Il faut dire que la boîte de violon semble être dans l’inconscient collectif un objet de fantasme. On imagine qu’y sont cachés soit des billets soit des armes.

 

Regardez plutôt !

une boîte remplie de billets ou bien une arme !

 

Bien sûr, n’allez pas dire cela à voix haute sous forme de boutade au risque de finir à la case « prison ». 😱

 

Souvent il faut aussi veiller à ce que la boîte ne soit pas maltraitée, posée à l’envers.
Et on jette toujours un œil inquiet pour quelques secondes ou minutes. Le temps de passer soi-même sous le portique, détecteur à métaux, et si quelqu’un partait avec la boîte ?

🃏JOKER capital sympathie (+10 points) : votre boîte de violon est rose !

 

 

Oui, c’est ma boîte de violon. Je l’ai customisée avec du vernis à ongles !

Handicap 1 (-10 points) : vous transportez une sourdine en plomb

 

C’est une chose à laquelle je n’échappe quasiment jamais : ouvrir ma boîte pour montrer ma sourdine en plomb.

 

Vous savez, la sourdine d’hôtel, c’est cet objet que l’on pose sur le chevalet, le petit pont. Ainsi les vibrations sont absorbées et le violon ne résonne plus autant. Ceci permet aux violonistes studieux et/ou pressés, obligés de travailler tard dans leur chambre d’hôtel ou respectueux de leurs pauvres voisins de travailler.

 

Cela peut aussi s’utiliser pour soulager les oreilles, quand les tympans sont saturés dans une salle à l’acoustique trop résonnante.

Handicap (-5 points) : le métronome électronique

 

Un petit boîtier électronique qui éveille des soupçons, alors que dans le meilleur des cas, il ne peut que provoquer un meilleur sens du rythme.

 

Handicap (de -10 à -500 points) : les cordes.
Lisez plutôt !

 

 

Souvent nous transportons un jeu de cordes de rechange bien nécessaire, mais les cordes semblent faire peur aux agents de sécurité…Allez savoir ce qu’un musicien enragé pourrait décider de faire avec !

 

Handicap (-5 points): un coupe-ongle

Épreuve #3: L’embarquement

BONUS
.Vous avez une carte de voyageur fréquent GOLD ou autre.
Ainsi vous avez accès au lounge et vous coupez la queue à l’embarquement.

 

.Si vous ne disposez pas d’une carte de grands voyageurs assez performante, vous rencontrez un collègue ayant une gold card qui vous fait rentrer avec lui/elle.

 

BONUS ++
.Vous expliquez au comptoir que vous allez jouer des concerts importants, dès votre arrivée.
On vous accorde un surclassement. (+1000 points / statistique… très faible)

 

🔔Politique des compagnies aériennes

 

(0) vous n’avez droit qu’à un bagage à main.
(+ 5 points) Vous faites un séjour-éclair, vous mettez vos sous-vêtements dans votre boîte à violon.

 

(-20 points) vous payez un supplément et devez enregistrer en soute votre sac à main (en pensant à retirer clés, argent…)

 

Ryanair : vous boycottez. sinon, GAME OVER 💀
Idem avec Vueling apparemment

 

Auquel cas, vous finissez dans les journaux :
Parce que

1. (-500 points) On vous force à mettre votre violon dans un sac plastique ou à voyager avec l’instrument sans protection😱

 

 

2. On veut vous forcer à mettre en soute votre violon
a. vous avez gain de cause

 

b. impossible de ramener les personnes de la compagnie aérienne à la raison
(-10 000 points)

 

Vous êtes obligé.e de dormir sur le sol à l’aéroport parce qu’on veut mettre votre violon (un Del gesu de $20 M) en soute 😱

 

 

Bon, si votre ITEM de départ est un violoncelle, vous êtes au niveau SUPER avancé.

Multipliez par 100 les chances de galère.
Vous aurez de toute façon dû acheter un deuxième billet.
Vous avez intérêt à être le premier à embarquer.
Mais va t’on vous demander la carte d’identité de l’instrument? Va t’on savoir l’attacher correctement 

 

En tout cas, peu de chances pour qu’on vous donne un deuxième plateau-repas pour Mr CELLO …(même si vous avez bien payé deux billets)

Epreuve #4 : le vol en avion

BONUS ++
l’hôtesse de l’air à l’entrée de l’appareil vous reconnaît et on vous invite à assister à l’atterrissage depuis le cockpit
(Véridique ! Cela m’est arrivé sur un vol Paris-Florence. Une expérience magique😍)

Handicap (-1000 points):
.Vous êtes « avionophobe » et vous vous accrochez au bras de votre voisin au décollage, à la moindre turbulence et à l’atterrissage.

Certains collègues ont une vraie phobie des vols en avion. Ceci n’est pas spécifique à notre profession.

Les amateurs de football se souviennent sans doute de Dennis Berkamp que l’on surnommait d’un surnom bien musical d’ailleurs : le « Non-flying Dutchman »
Bergkamp faisait tous ses déplacements en train ou en voiture, quitte à risquer d’arriver en retard.

 

 

🂡 carte aggravante
Vous avez la mauvaise idée de relire avant de partir l’histoire tragique des violonistes Ginette Neveu et Jacques Thibaud, tous les deux décédés dans des crashs d’avion.

Ginette Neveu était dans le même avion que le boxeur Marcel Cerdan en 1949, vol Paris-New York.

 

Ginette Neveu, son frère et le boxeur Marcel Cerdan

Pour Jacques Thibaud, il s’agissait d’un Paris-Saigon.

 

 

Vous comprenez que l’histoire du violon français s’est jouée sur des crashs en avion ! #statistique 😱

BONUS
+ Vous êtes épuisé.e du concert de la veille, vous dormez du début à la fin
+ vous faites du travail mental sur partition en profitant de la lucidité particulière du fait d’être dans les airs
– tant que le wifi n’est pas encore totalement généralisé

– Vous bataillez avec votre voisin de siège pour poser votre avant-bras sur l’accoudoir.

Epreuve #5 : Arrivée à destination

  • Bagages

Vos bagages ont été perdus (-500 points)
Vous finirez certainement en short sur scène

L’immense pianiste Boris Berezovsky…avec Dimitri Makhtin et Henri Demarquette


  • Douanes

Vous êtes dans un pays hors de l’espace Schengen : il va falloir déclarer votre instrument. Vous avez intérêt à avoir vos « papiers » à jour…pour votre instrument aussi, bien sûr !


Vous tombez sur :

    • – un agent de douanes non mélomane

Il ne comprend pas pourquoi un instrument si ancien coûte si cher. Il faut expliquer que oui, c’est normal. Votre violon est « vieux » … donc il est cher. Ce n’est pas comme une voiture, le ratio est souvent inversement proportionnel.

    • – un agent trop mélomane :

Il veut jouer votre instrument. Vous déclinez poliment…en espérant ne pas finir à la case « prison »


    • + des agents non-mélomanes mais curieux :

Ils ne comprennent pas pourquoi un instrument si ancien est si cher. Ils vous demandent de jouer pour voir s’il sonne bien. Vous vous exécutez en espérant les convaincre.


Je me suis ainsi retrouvée à jouer à mon arrivée à Bakou, dans les bureaux de la douane. Tel Orphée qui essaie, avec sa lyre, d’endormir le chien Cerbère, gardien de la porte des Enfers… 🎶


Heureusement ils ont trouvé que le violon sonnait vraiment bien.😅 Ils m’ont laissé passer après avoir émis les papiers administratifs qui me permettraient de ressortir du pays. (ce qui peut être utile !)😌


‼ Attention : niveau avancé


Vous voyagez aux US entre autres
« Ivory ban » et plus !


. Vous avez des instruments et archets qui ont un peu d’ivoire dessus ou qui sont en pernambouc (ou bois-brésil. Un bois très précieux dont la production est maintenant strictement réglementée )


 

Ces réglementations sévères ont d’ailleurs amené les musiciens du Berliner Philharmoniker à partir, lors de leur tournée aux USA, équipés d’autres archets; des archets en carbone.


‼️ Attention: âmes sensibles s’abstenir
risque de destruction 😱


(-100000 points) Ne laissez pas des agents de la sécurité manipuler vos instruments !
Le violoncelliste allemand Alban Gerhardt en a fait les frais.

 


 

Alternative :

 

++ Vous avez anticipé et vous décidez de voyager sans votre instrument.


Vous vous faites prêter un instrument sur place.

 

Je l’ai fait en Mars dernier lors de mon voyage à Eugene, Oregon University.


Très libérateur…par contre, stress différé sur scène car je ne disposais que d’un temps minimal d’adaptation à l’instrument nouveau pour moi.


(un peu comme les pianistes au fond !)

 

  • Accueil

(0) il n’y a personne pour vous accueillir. Vous vous mettez en chemin.
(-50 points) il n’y a personne + vous devez encore faire une connexion vers une liaison ferroviaire et vous trainez votre valise.
(+100 points) vous êtes accueilli.e avec une pancarte.


On vous propose de porter…votre instrument (hors de question !)
On ne vous propose pas de porter votre valise (C’eut été avec joie !) 😉


BONUS inclassable
La modification de votre nom !


😁Lors de ma venue au Festival d’Istanbul, mon collègue pianiste Emir Gamsiz avait réussi à convaincre la personne du festival qui venait m’accueillir à l’aéroport que mon nom complet était : Marina Chiche Kebab !

Heureusement le vol n’avait que quarante minutes de retard. A cinq minutes près, j’aurais eu droit à une annonce dans les hauts-parleurs de l’aéroport ! 😅


—-


Bon, MISSION ACCOMPLIE ! 👏
Vous êtes sorti.e de l’aéroport !


Sachant que,
« Quand les routes se terminent, l’autre voyage commence. »


Et ne me lancez pas sur les histoires de jetlag ou d’hôtels…


✍️


Vous l’aurez compris.
C’est une relation d’amour-haine que celle des musiciens avec les aéroports, ou du moins un sentiment d’ambivalence.


Alors, je vous l’ai dit, j’adore aller au Japon, voyager avec mon violon… c’est une manière extraordinaire de découvrir le monde.


Il y a des jours où l’épreuve est simple. Avec l’expérience on l’apprivoise en développant des rituels. Aller prendre l’avion peut devenir aussi banal ou automatique que d’aller prendre le métro ou le RER
Cela peut même avoir un côté ludique et amène de jolies rencontres !


🤔Pourtant il y a deux vrais « bémols » :


Beaucoup de musiciens professionnels expriment (en privé) une fatigue réelle, une lassitude de cette manière de voyager. Ni tourisme, ni voyage – on se déplace comme des hommes d’affaires. A une certaine fréquence, gare au burn-out.
Tous les aéroports sont les mêmes, tous les hôtels aussi, toutes les salles de concert…

Et puis, il y a la question écologique et de l’empreinte carbone que j’ai déjà évoquée dans mon dernier article
Faut-il vraiment aller au bout du monde, plusieurs fois par an ?


Évidemment il est merveilleux que les grands artistes et orchestres amènent leur musique aux quatre coins du monde, inspirent des générations de musiciens et ravissent les mélomanes.


Pourtant à l’heure de la diffusion sur le net et de la globalisation, l’exposition peut se faire sur des supports extraordinaires d’un point de vue technologique comme le Digital Concert Hall.


Donc à quel rythme doivent se déplacer les musiciens ?


A propos de « non-flying Dutchman », laissez moi vous parler du fantastique et fantasque bassoniste Braam van Sambeek qui a pris une décision radicale par rapport à l’empreinte carbone. Braam a décidé de ne plus se déplacer en avion et d’annuler ainsi tout déplacement transatlantique. Impressionnant !
Dur de s’y tenir !


L’utopie du Slow musician !
!
I had a dream…


Cela m’amène à développer une utopie.
Vous connaissez sans doute le concept de Cela m’amène à développer une utopie.
Vous connaissez sans doute le concept de Slow food ?


Au début des années 80 un groupe de gourmets piémontais porte un nouveau regard sur l’alimentation, l’agriculture et la gastronomie. Le slow food s’oppose au fast-food.


Que donnerait le concept de slow food décliné à la musique ?
A quoi ressemblerait un Slow Musician ?


Quelqu’un qui laisserait ses « produits » mûrir avec le temps, qui « ralentirait », qui aurait le temps de répéter à loisir en amont des concerts, qui jouerait principalement dans les alentours et interagirait dans son environnement proche ?
Au fond, pourquoi ne pas jouer plus souvent à domicile ?


Et si le slow musician pratiquait le slow travel ?
Par exemple il se déplacerait mais éviterait les allers-retours trop rapides. Il resterait en résidence, approfondiraient les liens avec les communautés sur place. Il se fondrait dans une expérience d’altérité. Au-delà de masterclasses rapides, il aurait accès à un échange interculturel profond ; celui qui a lieu souvent dans des moments inattendus, dans la durée. Ainsi il aurait le temps de respirer, d’inspirer et de se laisser inspirer par le lieu…


Je vous laisse méditer !


🎬


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