Au vu de la trajectoire de Frédéric, entre musique et médias, pas étonnant de distinguer deux mentors d’un sacré calibre :
– Le mentor des médias : Jacques Chancel rencontré lors des Grands Echiquiers et
– le mentor de violoncelle, de musique… et de vie : Mstislav Rostropovitch, l’immense violoncelliste.
Rostro, c’est bien sûr le surnom habituel de Mstislav Rostropovitch – alias Slava pour les intimes.
En 1977 Frédéric remporte le 1er Prix du concours Rostropovich « pour la musique contemporaine ». Sacré intitulé ! Le concours est une aventure romanesque car Frédéric y arrive comme grand favori. Avec au fond, tout à perdre.
Imaginez !
En 1976 Frédéric a tourné avec le concerto de Dutilleux, qu’il a appris à la demande du compositeur comme « doublure » de Rostro. Le compositeur tiendra d’ailleurs promesse. Même si Rostro ayant obtenu son visa, fait finalement la création à Paris, Dutilleux fera programmer Frédéric. Il jouera “Tout un monde lointain” avec le Philharmonique de Radio France, à Amsterdam, à Lille, à Strasbourg et à Tours !
Rostro avec Dutilleux
En 1976 Frédéric joue aussi avec l’Orchestre de Paris les variations Roccoco sous la direction de Colin Davis.
Le Concours Rostropovich
Rostropovich souhaite organiser un concours comme le célèbre concours Tchaikovsky à Moscou. Il demande à son ami Claude Samuel de l’aider à l’organiser. Impossible de trouver une salle à Paris. Alors Claude Samuel propose d’amener le concours à la Rochelle, où il dirige un festival.
Malgré la désapprobation de Daria Hovora, sa partenaire pianiste, Frédéric se décide à y prendre part – “par amour pour Rostro”, qu’il connait déjà.
Mémoire impressionnante. Il se souvient de chaque détail, comme si c’était hier.
En finale, le 2e concerto de Shostakovich. Dans les épreuves précédentes, il joue avec Daria, qu’il a quand même réussi à convaincre de venir, la 4e sonate de Beethoven, la Suite italienne de Stravinsky mais aussi Kottos pour violoncelle seul de Xenakis, le compositeur grec dont le langage est extrêmement complexe. Frédéric avoue avoir improvisé des passages littéralement injouables !
Xenakis siège d’ailleurs dans le jury !
Un jury…improbable :
avec les compositeurs Henri Dutilleux, Luciano Berio et Yannis Xenakis ainsi que les violoncellistes Zara Nemtsova, Pierre Penassou du Quatuor Parrenin et bien sûr Rostro.
Frédéric, du haut de sa carrière déjà florissante avec son beau costard n’a pas les faveurs de tous les membres de ce jury coloré… !
Les intrigues vont bon train. Mais cette fois, Rostro est derrière son poulain. Frédéric remporte ex aequo le 1er prix. Il ne faut pas non plus exagérer ! Il sera d’ailleurs le français de l’histoire du concours à remporter le 1er prix.
Tout en exprimant son admiration pour le musicien Rostro, Frédéric souligne aussi la complexité du personnage. Son immense talent et son image bonhomme ne sauraient cacher un goût du pouvoir prononcé. Bref ! Humain, trop humain.
Mais ce sont aussi des moments d’inspiration pure que reçoit Frédéric auprès de Slava.
Lors de rencontres privilégiées, le grand violoncelliste russe raconte ses expériences auprès des compositeurs qu’il a fréquentés intimement que ce soit Shostakovich ou Prokofiev.
Avec Rostro, on ne parle pas de technique, mais on parle musique, imagination.
Assis au piano, il connait tout de mémoire. Ainsi lorsqu’il montre la mort de Don Quichotte dans la pièce éponyme de Richard Strauss, il s’effondre de manière si saisissante… que Frédéric se demande si le maître ne vient pas de laisser s’échapper son dernier souffle. Littéralement – « Un comédien infernal ! »
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Frédéric rentre dans l’intimité du couple Rostro et de son épouse, la grande chanteuse Galina Vishnevskaya. Lors d’une soirée où il est invité chez eux, sur la table – saucisson et escargots. (Une “horreur” ). Frédéric amène des mets raffinés, du champagne, du saumon fumé.
Il se fait bien sûr gronder, pour la forme, comme si il avait fallu venir les mains vides : « Plus jamais ça, Frédéritchik ! »
Mais évidemment, Slava, les yeux gourmands se réjouit et s’empresse de mettre le saumon et le champagne au frais.
Tout un poème !
- L’autre mentor, non moins impressionnant, c’est Jacques Chancel.
Lors du Grand Echiquier de Mars 76 c’est lui qui a révélé les capacités médiatiques de Frédéric.
Le jeune Frédéric sous le regard de Jacques Chancel
En 1989, suite à un changement de direction, le Grand Echiquier est arrêté. Mais en 1990 Chancel est nommé directeur d’antenne sur FR3. Il propose à Frédéric une émission de musique classique. Ce sera Musique, Maestro !
« Attention de bien l’écrire ! » me dit Frédéric.
« Avec deux majuscules et un point d’exclamation : ça claque ! »
C’est vrai !
Frédéric est ravi. On annonce six épisodes. Mais après la première, levée de bouclier de collègues jaloux. C’est sans compter sur le public, qui contre-attaque et réclame ce qui a été annoncé ! La rédaction de l’antenne est inondée de lettres. À nouveau !
On reprend alors l’émission comme prévu !
Frédéric me décline de mémoire les mois et les lieux des émissions : chaque numéro fait découvrir un orchestre de région.
- Février 91 : orchestre du Capitole avec Michel Plasson
- Mars 91 : Orchestre d’Auvergne avec Jean-Jacques Kantorow
- Avril 91 : Orchestre de Montpellier avec René Koering
- Mai 91: Orchestre de Bordeaux avec Alain Lombard
- Juin 91 : Orchestre de Strasbourg avec Theodor Guschlbauer
Cela laisse rêveur…
Lors de la conception de l’émission, l’ambiance est houleuse avec la production.
Frédéric, meurtri, appelle Chancel et exprime sa déception: « Vous m’aviez promis le paradis, et c’est l’enfer ».
Le mentor ne se laisse pas attendrir et remet Frédéric en place aussi sec.
« Je te donne une chance, et voilà ce que tu as à me dire ? Premièrement, si tu ne peux pas le faire, je prendrai quelqu’un d’autre. Deuxièmement, prends le pouvoir ! »
A la dure…mais efficace.
Frédéric se ressaisit aussitôt. Il remet les choses en place de son côté. Un coup de fil bien envoyé, et l’aventure se poursuivra avec un autre producteur.
Voila de sacrées leçons de vie !