#48 - Who is the boss ?
Une histoire de chef d'orchestre, de soliste et de...diplomatie !
ITW France Musique Musique Matin : j’étais l’invitée de la Matinale pour parler de l’Atelier sur Facebook et de la musique sur les supports numériques !
La Provence « Ma vie confinée »
Chers amis,
Hier au menu de mon Atelier sur Facebook, le Concerto de Brahms pour violon et orchestre.
J’expliquais la nécessité pour un soliste de construire son interprétation d’une œuvre concertante à partir du « score » pour élaborer un discours cohérent, un peu comme acteur de théâtre se devait de connaître l’intégralité d’un texte, connaitre toutes les répliques…
(Le « score« , aussi appelé le « conducteur » en français, c’est la partition qu’utilise le chef d’orchestre, partition où sont écrites toutes les parties, aussi bien celle du soliste que celles des instruments de l’orchestre).
… lorsqu’une participante m’a demandé dans le « chat », qui du chef ou du soliste décidait d’une interprétation.
Question vertigineuse !
Effectivement la relation de travail chef-soliste est très complexe et sans doute un modèle « managérial » assez exceptionnel de collaboration (réussie …ou pas) !
La rencontre entre un chef et un soliste
Pour une session avec orchestre, un des premiers rendez-vous du planning du soliste est souvent la rencontre avec le chef d’orchestre.
En général assez informelle, cette rencontre permet de faire connaissance, si on ne se connait pas encore et de créer les bases de la collaboration musicale.
Il s’agit de se mettre d’accord autour de la partition : choix de tempi, décisions pour certains « coins », les virages, passages charnières de l’œuvre.
Souvent on joue soit la pièce en entier soit on isole des passages un peu plus problématiques, repérés par expérience.
Ce moment ressemble sans doute à la lecture d’un script à la table par des acteurs.
Pendant que le soliste joue l’œuvre (seul ou avec un pianiste qui joue une réduction de l’accompagnement d’orchestre au piano),le chef bat la mesure : il dirige « dans le vide ».
Le paradoxe du chef d'orchestre
Cela pourrait paraitre assez absurde vu de l’extérieur. Un peu comme de l’« air guitar».
Dans ces moments, on prend bien conscience du paradoxe du chef d’orchestre : à la fois la vanité de son rôle et son importance absolue.
Le chef d’orchestre ne produit effectivement pas de son par lui-même
(même si certains chantonnent ou produisent des bruits gutturaux incontrôlés !
mais ca, c’est une autre histoire 😉).
Pourtant lors de ce genre de session, on réalise tout de suite si on n’est pas d’accord ou si quelque chose n’est pas clair dans la compréhension mutuelle. De la communication non-verbale pure !
Fascinant !
"Accompagner" un soliste
Le rôle d’accompagnateur pour un chef est un art particulièrement délicat. On pense souvent que le grand chef d’orchestre sera reconnu uniquement dans la symphonie qu’il dirigera seul.
Mais l’art d’accompagner ou de suivre un soliste demande des qualités incroyables d’empathie, d’anticipation musicale et de réactivité technique.
Non seulement il s’agit pour le chef d’arriver à prévoir ce que le soliste induit dans son interprétation (en espérant que la proposition soit suffisamment « organique », logique ou, au moins, cohérente) mais aussi d’arriver à le transmettre aussitôt par une gestuelle claire et facilement lisible aux musiciens d’orchestre.
Dans certaines œuvres, accompagner un soliste instrumental n’est pas forcément plus simple que de suivre un chanteur à l’Opéra.
Un grand spécialiste du genre est le grand chef indien Zubin Mehta. Parfois la main placée sur la hanche gauche, il se tourne vers le soliste.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de prendre conscience de la difficulté de l’exercice lors de l’académie de direction à Pärnu, Estonie dans le festival de Paavo Järvi.
Paavo m’avait invitée à jouer le concerto de Tchaikovsky.
Lors des sessions de cours pour les jeunes chefs, tour à tour Paavo Järvi, Neeme Järvi ou Leonid Grin venaient interrompre les chefs et leur donner des conseils.
Parfois, ils prenaient le relai et montraient aux élèves comment faire.
Rien que par le regard Paavo arrivait à influencer la transmission d’informations à l’orchestre.
Collaborations historiques
La qualité d’interaction entre soliste et chef d’orchestre est un vaste sujet.
On peut citer quelques cas célèbres avec le modelage tel un Pygmalion d’Anne-Sophie Mutter, alors jeune violoniste par le chef allemand Herbert von Karajan.
A l’opposé, la collaboration entre Anne-Sophie Mutter et le chef roumain Sergiu Celibidache tournera court dès la première répétition, sous forme de règlement de compte liée à l’inimitié entre les deux chefs d’ailleurs.
Le chef américain Lorin Maazel était impitoyable sur le moindre « débordement » injustifié d’un soliste : c’est-à-dire que si le soliste voulait prendre des libertés qui ne se justifiaient que sur un « ressenti » (Vous savez le : “Parce que je le sens comme ca”) et ne semblaient donc pas convaincantes au maestro, il rendait – par sa battue – la chose tout simplement impossible et recadrait tout de suite le propos musical.
Les "stratégies"
En tant qu’interprète, il existe plusieurs « écoles » (ou stratégies):
- Il y a ceux qui ferment les yeux, mettre leurs œillères et foncent. Ils déroulent leur interprétation et assurent leur partie.
En gros, c’est « Catch me if you can » ou « Qui m’aime me suive ».
- D’autres cherchent à se fondre avec l’orchestre et vont à tout prix au contact, en mode plus extraverti. Quitte à se mettre en danger, ou à finir très loin de leur propre vision de l’oeuvre.
- Sans doute, l’idéal réside dans une troisième voie, où de la rencontre du soliste avec le chef et l’orchestre nait une collaboration et l’élaboration d’une vision commune de l’oeuvre.
La meilleure garantie pour arriver à un terrain d’entente passe au préalable par un souci d’organicité dans les choix musicaux.
Quand la cohérence est évidente, souvent cela résout bien des problèmes et enlève de nombreux points de discussion.
Pour le soliste, reste alors à trouver un équilibre entre être ouvert et garder son centre.
But... who is the boss ?
Bernstein versus Gould
En répondant hier lors de l’Atelier, j’ai repensé à cet extrait fameux du grand chef d’orchestre américain Leonard Bernstein et du non moins fameux pianiste canadien Glenn Gould.
Jouant ensemble le Concerto nr.1 de Brahms avec le New York Philharmonic au Carnegie Hall en 1962, Bernstein prit la parole avant le début du concert.
Après avoir rassuré le public que Mr Gould n’annulerait pas le concert, il délivra un des speeches les plus célèbres du genre.
Voilà ce que Lenny Bernstein dit au début – avec son humour et son éloquence irrésistibles :
» I can not say I am in total agreement with Mr Gould’s conception. » (euphémisme…)
Puis :
» This raises the question : What am I doing conducting it ? »
Pour dire enfin : » Who is the boss ? The soloist or the conductor ? »
Je vous laisse écouter cela !
Voilà une mine d’or à méditer en matière de leadership !
Bernstein & Gould – Brahms Concerto nr.1 / Carnegie Hall, NY 1962
De la diplomatie entre musiciens
Pour finir, il faut dire que cette problématique est vraie aussi pour d’autres constellations musicales comme la musique de chambre.
Je vous signale encore un cas fascinant avec notre usual Suspect : Mr. Gould, … who did it again !
Cette fois-ci c’est au tour de Sir Yehudi Menuhin de faire un « disclaimer » avant de jouer !
Menuhin & Gould dans la 10e sonate de Beethoven
Plus stoique et laconique que Bernstein, Menuhin l’américain gentleman, qui mérite bien son titre de « Sir », se dit « grateful » (reconnaissant) de cette enrichissante collaboration…
Je ne sais pas vous, mais moi, j’y vois autre chose… 😉
Vous ne trouvez pas ?
P.-S. :
Si vous voulez me rejoindre, je suis en direct sur Facebook. De 18H à 18H30 , jusqu’à Vendredi !
En plus, du Facebook Live, les épisodes sont aussi disponibles en replay.
J’espère que vous et vos proches vous portez bien en ces premiers jours de déconfinement prudent.
Prenez soin de vous !
Très affectueusement,
Marina 🎻
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