#24 - Une vie de soliste (2/2)
Une histoire de sieste, d’alimentation et de ...”bis” 💤🍱
La semaine dernière je vous parlais de la vie de soliste en faisant référence à mon récent séjour à Bogota.
Je vous parlais de l’arrivée sur place, des répétitions avec le chef d’orchestre et avec l’orchestre, des nombreuses interviews, du temps libre limité.
Reprenons
Nous voici maintenant au jour du concert.
#5 Le jour du concert D-day
L’enjeu principal de ce jour pas comme les autres, c’est la gestion du temps.
La journée se déroule comme un arc tendu vers un seul objectif : être dans la meilleure forme possible pour le moment sur scène.
24 heures pour une trentaine de minutes.
Ainsi c’est une drôle de temporalité qui ne laisse pas beaucoup de liberté … du matin jusqu’au concert, tout est réglé et calibré autant que possible.
Le jour peut sembler interminable et à la fois extrêmement court. Une distorsion temporelle dans les règles de l’art !
La répétition générale
Souvent lorsqu’il s’agit d’un concert en soliste avec orchestre, la journée commence par la répétition générale de 10h à 13h.
La générale, c’est le moment où l’on « file » le programme, on joue le programme du concert d’un bout à l’autre. Normalement on joue les pièces dans l’ordre du programme du soir et on n’interrompt pas le déroulé même s’il y a des petits ratés.
Bien sûr, il existe des entorses à cette règle.
Il arrive que l’on programme la générale dans un autre ordre – pour des raisons pratiques. Par exemple si une pièce nécessite un effectif orchestral très différent. Ainsi les musiciens peuvent arriver ou partir plus tôt.
D’autre part, certains chefs d’orchestre utilisent la générale comme une répétition « normale », c’est-à-dire qu’ils continuent à transmettre des indications ou partager des remarques avec l’orchestre. Certains font totalement confiance et écourtent cette répétition pour garder la fraîcheur pour le soir.
Cela dépend soit de l’évolution et donc de la préparation du programme; soit du style du chef d’orchestre – perfectionniste jusqu’au bout.
Chacun son style.
En tant que soliste, si c’est la 1ère fois dans la salle de concert, il s’agit de prendre ses marques dans un nouvel espace, donc dans une nouvelle acoustique. Bien se positionner sur scène, entre le chef et l’orchestre.
Il s’agit aussi de se rassurer sur le flux général des pièces. On peut aussi régler encore (rapidement) deux, trois détails. décalage ou points précis.
Il est important de bien « doser » son énergie, car il serait dommage de « tout donner » lors de la générale et de passer à côté du moment sur scène : pas toujours évident de trouver le juste équilibre.
D’ailleurs, certains sont superstitieux, si la générale se passe « trop » bien…danger ! ⚠️
Bien gérer son alimentation et son énergie !
Dans la gestion de la journée, deux points cruciaux : manger et dormir !
Cela ressemble bien sûr à la gestion d’un jour de match pour un footballeur ou d’un jour de compétition pour tout sportif.
Manger : savoir quoi manger. Et à quel moment pour surtout ne pas avoir faim sur scène, le pire serait d’être en hypoglycémie.
Mais il n’est pas toujours simple de savoir quoi manger pour plusieurs raisons :
– parfois le trac noue l’estomac.
– selon les lieux de concert, la gastronomie locale est bien différente des habitudes et il n’est pas simple de trouver son plat préféré.
– les horaires de concert peuvent varier selon les pays. à 19h/19H30/20h/20h30/21h !!
Certains de mes collègues ne jurent que par un plat de pâtes – sucres lents pour “tenir”.
Pour ma part, je n’aime pas manger juste avant le concert.
Hors de question d’être en pleine digestion sur scène. Imaginez un peu toute l’énergie mobilisée à digérer !
Je préfère bien déjeuner puis grignoter des choses dans ma loge : idéalement ce sont des fruits secs et/ou oléagineux.
Et un peu de chocolat noir et quelques bonbons pour éviter d’avoir la gorge sèche.
Evidemment il est conseillé d’éviter l’alcool le jour du concert. 🍷
Chacun ses limites !
Lors de notre interview, en me parlant de son mentor Rostropovitch, Frédéric Lodéon me raconta que Rostro disait : il suffit d’arrêter de boire quatre heures avant d’aller sur scène ! 😅
Bon, je vous rassure. Pour moi, impossible de boire une goutte le jour J – avant le concert, il s’entend. 😉
De même avec le café, stimulant notoire. Il ne s’agit pas de changer ses habitudes le jour J.
Certains se “boostent” avec quelques cafés supplémentaires pour se réveiller. ☕️
Pour moi, une dose inhabituellement élevée de caféine combinée avec l’adrénaline du concert amène trop d’excitation, des tremblements : cela perturbe !
Il s’agit de bien se connaître et sans doute de ne pas subitement changer ses habitudes, de garder une forme de normalité dans son fonctionnement, même si ce n’est pas un jour comme les autres !
To practise or to sleep ? That is the question !
A choisir entre travailler ou dormir, pour moi – pas de doute : dormir !
Je suis une fan de la sieste d’avant-concert.
Je vous en parlais déjà dans l’article sur la mémorisation : entre chronobiologie et processus d’intégration du cerveau, la sieste est très vertueuse.
Rien de tel pour recharger les batteries.
A condition, bien sûr, d’avoir un bon réveil…ou plutôt deux !
Rituels
Là encore, avec la sieste comme avec le reste de la journée, il n’y a pas de règle. Il se s’agirait pas d’en faire une religion car parfois c’est tout simplement impossible. La répétition a été décalée, il y a un raccord son pour un enregistrement à la radio ou tout simplement, il faut retravailler certains passages qui résistent encore !! 😱
Bref ! Il est essentiel de faire preuve de flexibilité et de ne pas mentalement dépendre des conditions.
La devise reste :
Prepare for the worst, hope for the best.
Je vous parlais de gestion du temps… Il faut aussi prévoir le temps de se préparer… aller chercher sa robe (ou son costume) au pressing, se doucher, se laver les cheveux, se maquiller et toutes ces choses que l’on ritualise plus ou moins (!!).
Le trajet hôtel - salle de concert
Si l’hôtel n’est pas à côté, il faut bien calculer à quelle heure programmer le transfert de l’hôtel vers la salle. Ni trop tôt, ni trop tard… Cela est si vite arrivé, quelques embouteillages et c’est la catastrophe 😅
#6 Avant-concert
Il n’est pas rare que les organisateurs de concert nous sollicitent pour parler avant le concert pour une rencontre d’avant-concert avec le public.
Rencontre avec le public
Ce sont des moments d’échange où l’on se présente, où l’on répond à des question sur son parcours et où l’on parle des œuvres que l’on va jouer. Cela est souvent très intéressant.
Je trouve que le fait d’expliciter les intentions ou bien notre relation à l’œuvre que l’on s’apprête à jouer en scène renforce le sentiment de responsabilité en tant qu’interprète. Comme si on annonçait un “programme” et que maintenant nous nous engagions à faire ce que nous avions dit !
https://www.youtube.com/embed/C9tKm46j2Sw
Pourtant il n’est pas toujours simple de parler avant de jouer. Les zones cérébrales activées pour la parole ne sont pas les mêmes que celles engagées pour l’expression musicale ou l’imagination.
Et il est important d’avoir le temps de sortir du “mode” verbal, analytique pour repasser en “mode” imaginatif, intuitif, créatif.
Parfois les questions fusent et il est difficile d’interrompre les échanges à temps.
Et là, c’est la course ! L’horloge tourne !
A peine le temps de finir de se maquiller et d’enfiler la robe !
Ces gestes sont pourtant importants – au moment de passer ce costume de scène, comme pour un acteur, c’est le moment d’incarner le rôle.
Bien sûr, c’est aussi un rituel qui permet de conjurer le trac ou plutôt de l’inviter !
Vous vous souvenez ? Je vous en parlais dans un article sur la gestion du trac
et dans une tribune pour La Lettre du Musicien.
Le temps s’accélère. Avant le concerto est souvent programmée une ouverture ou une pièce relativement brève – entre 5 et 15 minutes.
Il est donc souvent trop tard pour se chauffer à plein son, notamment quand cela s’entend sur scène si on joue dans une loge en arrière-scène, trop proche et mal isolée.
Bon, on peut toujours faire encore quelques mouvements de QiGong ou quelques minutes de méditation.
Parfois on a un retour audio et/ou vidéo dans la loge, on entend ou voit ce qui se passe sur scène. On sait à la seconde près où l’on en est.
Parfois on vient nous chercher.
Encore une fois, c’est souvent une sensation entre : “trop tôt ou trop tard”.
Conjurer le sort (encore et toujours !)
Et puis,
on se dit un dernier mot avec le chef (selon la complicité) –
par exemple, (encore et toujours !)
Et puis,
on se dit un dernier mot avec le chef (selon la complicité) –
par exemple, (encore et toujours !)
Et puis,
on se dit un dernier mot avec le chef (selon la complicité) –
par exemple, toï, toï, toï
ou bien le fameux M**** , auquel on ne répond surtout pas merci !
ou bien encore en russe : Ни пуха, ни пера! auquel on doit répondre : К черту (au diable !)
ou bien, “Let’s have fun !”, “Enjoy!”
ou encore des variantes plus personnelles, dont une que j’affectionne …
“Whatever happens, let’s stay friends !” (“Quoi qu’il arrive, on reste amis !”) 😂
Encore une fois, on essaie de conjurer le sort avant de rentrer dans l’arène !
Une dernière respiration
Et on se jette à l’eau !
#7 Le bis
Imaginons que tout se soit passé au mieux.
Si le public applaudit fort et suffisamment longtemps, il est souvent attendu que le soliste donne un bis en solo.
Un Si le public applaudit fort et suffisamment longtemps, il est souvent attendu que le soliste donne un bis en solo.
Un Bis, c’est étymologiquement jouer une deuxième fois. Cela se faisait à l’Opéra au XVIIIe siècle quand un air (aria) était tellement apprécié, le public exigeait une “redite”.
Quitte à casser la logique dramatique, on redonnait l’air – pour le plaisir !
En anglais, le terme . Cela se faisait à l’Opéra au XVIIIe siècle quand un air (aria) était tellement apprécié, le public exigeait une “redite”.
Quitte à casser la logique dramatique, on redonnait l’air – pour le plaisir !
En anglais, le terme Encore – est emprunté au francais ! Encore une fois !
Et en allemand,
Et en allemand, Zugabe – on peut y voir la connotation de faire un cadeau, de donner quelque chose en plus (geben dazu).
Le “bis” après un concerto répond à d’autres codes qu’un “bis” après un récital.
Parfois il est impossible d’en jouer un, et ce pour plusieurs raisons.
– Après certaines oeuvres, il est très délicat de jouer – encore – quelque chose. L’oeuvre est complète, la messe est dite ! 😉
D’un point de vue de la dramaturgie, il n’y a rien à rajouter. Il s’agit juste de laisser l’oeuvre résonner.
– Parfois, on a vraiment tout donné, physiquement et émotionnellement, on est à bout de souffle ou de ressource. Il serait presque dangeureux de jouer encore quelque chose qui vienne “casser” tout.
– Enfin, d’un point de vue encore plus pragmatique et terre-à-terre, il arrive que le programme du concert soit déjà très long ou que ce soit même un direct radio, et il est impossible de “rajouter” du temps.
D’ailleurs certains orchestres font parfois subtilement comprendre qu’un bis ne sera pas bienvenu, même limite qu’il est hors de question d’en faire ! 😉
Comment choisir quelle pièce jouer ?
Deux stratégies :
Soit changer le caractère
Soit rester sur la même lancée et sur une même esthétique.
Il peut être bienvenu de proposer une pièce courte, un moment d’humour, de légèreté ou de haute voltige.
A Bogota, j’ai joué une Sarabande de Bach car je venais de présenter deux pièces très virtuoses.
J’avais besoin de créer un moment de méditation collective, un moment qui rappelle que la musique naît du silence et y retourne.
D’ailleurs, pour moi, en tant qu’interprète, la plus belle récompense est ce moment de temps suspendu après une telle pièce, ces longues secondes voire cette longue minute où tout le monde retient son souffle et entend le silence.
Magique !
C’était après le concerto de Tchaikovsky à Pärnu, Estonie
#8 Après avoir joué
Si on n’est pas trop épuisé, si on ne doit pas prendre un avion ou un train, et si on n’est pas immédiatement entouré d’amis venus écouter, il est très agréable d’aller écouter la 2e partie du concert. Souvent une symphonie.
On n’a pas toujours le temps de se changer.
Une étole sur les épaules, une veste rapidement enfilée, et on prend place discrètement (si possible) dans le public.
C’est un moment qui permet de profiter de la musique différemment, sachant qu’il n’est pas toujours simple d’écouter de la musique sans analyser quand on est musicien professionnel.
A Bogota, j’ai été très touchée par l’engagement du chef Joshua dos Santos et des musiciens de l’orchestre qui ont donné une 4e de Tchaikovsky enflammée !
Autographes
Au moment de sortir de scène, on se dit que ca y est : mission accomplie.
Mais attention !
A Bogota, j’ai été assaillie par des membres du public qui voulaient autographes et photos.
Cela arrive souvent au Japon, où tout est alors savamment organisé. L’artiste assis à une table équipé d’un joli feutre et le public bien organisé dans une file interminable.
Là, j’ai passé une heure debout à signer et poser avec des spectateurs !!
Les derniers autographes ressemblaient sans doute à des gribouillis … 😂
Mais ce sont des moments très chaleureux et très drôles !
#9 Après-concert
Les leitmotive de la journée se retrouvent : Manger, dormir…
Souvent on est amenés à dîner tard, trop tard…Si on n’ a pas mangé avant, juste grignoté des amandes ou autres, il faut bien se restaurer.
Si on trouve encore des restaurants ouverts…
Il peut y avoir une réception ou un dîner officiel. Parfois rien n’est prévu et alors plusieurs options se présentent plus ou moins improvisées :
– en petit comité avec des amis (une de mes variantes préférées),
– seul.e au restaurant (si on en trouve un d’ouvert !) ou
– seul.e à l’hôtel avec room-service (la déprime ! )
Bon, il y a des cas extrêmes…notamment quand tout est fermé, même la cuisine de l’hôtel car le concert finit trop tard. 😭
En fait, les after-concerts sont des moments souvent très conviviaux qui génèrent de belles conversations ou rencontres. On est encore sur un petit nuage, la musique résonne encore en nous.
Les conversations peuvent être légères. On se raconte des blagues, des potins.
Parfois ce sont aussi des moments étranges car la fatigue nous cueille d’un coup. On ressent la chute d’adrénaline, un coup de blues d’après le “high” du concert ! #coupdebarre
C’est le moment où on remet les pieds sur terre. Un peu comme Cendrillon au douzième coup de minuit !
Et puis, il faut rentrer à l’hôtel, faire sa valise.
Et là, c’est à chaque fois la même histoire.
Vous connaissez sans doute le phénomène. Est-il scientifiquement prouvé ?
Soudain, plus rien ne rentre dans votre valise !
De plus, il est souvent impossible de dormir. Trop d’adrénaline, on repasse le scénario du concert dans sa tête…
Il faut trouver des stratégies pour venir à bout des insomnies ! Télévision ou lectures…
#10 Retour
Le lendemain on enchaine ! Il faut repartir.
Parfois on arrive à rester quelques jours de plus, mais c’est rare. Cette fois-ci j’ai pu voler une demi-journée et visiter un peu encore.
Et c’est reparti pour les réjouissances du vol retour.
Avec les procédures de sécurité à l’aéroport dont je vous parlais dans les articles sur le voyage !
Fini la robe, les escarpins, le maquillage de scène…on est plutôt en jogging, lunettes, bas de contention – pas très glamour !
D’ailleurs, cette fois-ci, j’ai été surprise quand à Madrid lors de ma connexion, un couple qui avait assisté au concert s’est approché pour me reparler du concert.
Ils ont avoué avoir hésité à m’approcher…ils avaient du mal à me reconnaître !
Sacré contraste entre la violoniste en robe longue…
… J’aurais dû mettre des lunettes de soleil ! 😅
Le périple n’est vraiment terminé qu’une fois arrivée à la maison.
Quel soulagement de poser sa valise…
Avant de réaliser qu’il va falloir la défaire, faire la lessive pour préparer la suite…et puis, jeter un regard furtif dans le frigo pour se rendre compte …qu’il est vide !
Il y aussi la gestion du décalage horaire, dans le sens inverse !
Pour moi les voyages vers l’Ouest sont plus simples que ceux vers l’Est. Il existe quelques techniques…mais au fond, le corps a son rythme.
J’aime beaucoup cette image qui dit que lors de ces longs voyages, le corps arrive avant l’âme ! Et qu’il faut autant de temps à l’âme pour arriver que le jetlag à se défaire.
Bon, il ne faudrait pas sombrer dans un “blues” post-projet.
Comme me disait un ami qui se reconnaîtra :
“Entre deux dépressions, on fait de la musique !”
Cela pourrait être signé Woody Allen, n’est-ce pas ? 🤓
Le mieux, bien sûr, c’est enchaîner sur le projet suivant ! 😊
🎬
Alors, vous imaginiez cela comme cà une vie de soliste ?
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