#2 - Le festival de musique de chambre ou l’histoire d’un ver dans l’oreille 🐛
Une musique qui continue à résonner dans mes oreilles, des thèmes qui circulent et deviennent obsédants (par exemple des petits motifs rythmiques du Quatuor américain de Dvorak!). Ne dit-on pas en allemand pour un thème qui reste coincé dans notre mémoire, « Ohrwurm », en traduction littérale cela donne « un ver dans l’oreille » ?
Bref, chargée de toutes ces impressions et souvenirs divers, j’aimerais me poser ici, vous raconter quelques moments forts du Leicester Festival 2018 et partager avec vous quelques réflexions plus générales sur les festivals de musique de chambre.
Car souvent lorsque l’on évoque les coulisses d’un festival, on pense à l’organisation – miraculeuse parfois, à la recherche de financements – ardue souvent, à la coordination d’un groupe de bénévoles – indispensable et merveilleuse force invisible ! Mais ce dont j’aimerais vous parler en particulier, c’est de l’expérience du festival depuis le point de vue du musicien. Expérience qui relève parfois d’un grand-huit – musical et émotionnel, de vraies montagnes russes.
Un « bain » de musique 🎼🎹🎻🚣
Les festivals de musique de chambre sont un cadre et un moment particulier dans le panorama des différents concerts de musique classique.
Ils représentent un certain type de festivités, un « bain » de musique souvent centré autour d’une thématique et réalisé par un groupe restreint de musiciens qui se retrouvent sur une période limitée et intensive pour préparer le répertoire programmé. Une situation de huis-clos festif.
Certains musiciens adorent cela et ne vivent que pour ces moments – ce sont des inconditionnels du genre ; d’autres les détestent littéralement et refusent de se plier aux règles d’un jeu bien spécifiques. Vous vous demandez peut-être dans quelle catégorie je me range ? Probablement, je fais partie d’une troisième sorte. J’adore les festivals de musique de chambre – mais sous certaines conditions.
En effet, il me semble que pour qu’un festival de musique de chambre soit réussi et satisfaisant, il est nécessaire que des paramètres précis soient réunis. Selon moi, tout dépend du « casting », de la programmation et des conditions de travail. Equation … à plusieurs inconnues et très subtile.
Immersion : entre zen et adrénaline
Ce que j’adore et qui me semble unique dans les festivals de musique de chambre, c’est l’aspect d’immersion. Il faut dire que souvent la quantité de répertoire à jouer est énorme, et les concerts s’enchaînent en peu de temps. Et de cette pression temporelle naît parfois la sensation de faire de la musique en temps réel.
L’immersion dans une thématique, le fait de brasser beaucoup de la musique d’un même compositeur ou d’un même genre donne l’impression de pratiquer un idiome bien particulier et de pouvoir à la fin du séjour parler cette « langue » couramment.
Et puis, on rencontre ou on retrouve des collègues musiciens avec lesquels on peut passer de longues heures à jouer, à discuter, à « essayer » – chose rare dans un planning annuel où chacun court après un avion ou un train différent.
Pendant le festival se crée une vraie bulle de travail, chacun allant de répétition en répétition. Souvent il se produit une vraie déconnexion d’avec la réalité bien agréable (on peut passer à côté de « news » importantes, oublier des questions d’intendance et surtout être déchargé de tâches quotidiennes).
Ceci se déroule dans un mélange étonnant d’intensité extrême et de concentration maximale. Intensité car il faut souvent se surpasser quitte à frôler la surchauffe. Concentration car tout nous ramène à l’instant présent. On pourrait même parler de qualité zen, on est dans l’hic et nunc, l’ici et le maintenant, uniquement occupé à faire ce que l’on fait. Le rêve, en fait…
Vous vous souvenez… être dans la musique, rien que dans la musique.
Challenges
Pourtant le chemin jusqu’à la scène est parfois semé d’embûches.
- 1er challenge : maîtriser le répertoire
Il y a d’abord le challenge lié au répertoire qui peut se résumer dans une dialectique entre nouveau et ancien, autrement dit, entre pièces du grand répertoire, parfois « trop » jouées ou bien, pièces rarement jouées, au risque d’être « trop fraîches ».
Le nerf de la guerre, c’est bien sûr d’avoir suffisamment de temps pour dans le cas des pièces du grand répertoire, repenser ensemble une interprétation commune, se mettre d’accord sur les orientations stylistiques, les tempi, les « ambiances », le message…soit, dans le cas des pièces peu souvent jouées, de construire de toutes pièces une interprétation cohérente et aboutie.
Il est impossible de savoir à l’avance si cela va être une foi s comme les autres ou bien si la magie va opérer : le but étant que que la pièce semble jaillir comme neuve.
Personnellement j’aime beaucoup découvrir de nouvelles pièces. Cela nous fait ressentir la responsabilité de l’interprète comme médiateur entre le compositeur, la partition et le public. Et cela crée un vrai espace de liberté dans l’interprétation et dans la lecture du texte – un peu comme si on faisait une « création », une « première ».
J’aime aussi beaucoup les formations inhabituelles, quand les cordes se mêlent aux vents par exemple. Cela permet de sortir des habitudes de sa « corporation ». En tant que cordes, on « respire » plus et on s’inspire des sonorités.
- 2e challenge : le casting ou l’art du team-building
A la différence des récitals ou concerts donnés par des groupes constitués (trios avec piano, quatuors à cordes, ensembles à géométrie variable), le festival mise sur la rencontre occasionnelle d’artistes venant parfois d’horizons très divers.
Un peu comme une équipe de foot formée le temps d’une sélection pour un match amical ! ⚽️
Les « all-star games » ne sont pas toujours une garantie artistique. 😉
Créer une unité en si peu de temps relève parfois du casse-tête chinois qui ferait pâlir n’importe quel chargé de ressources humaines !
Evidemment cet aspect est très stimulant car cela vient exclure toute forme de routine ou de confort qui peut se créer du fait de toujours jouer avec les mêmes personnes. On se découvre de nouvelles facettes et on développe une capacité d’adaptation.
Dans des cas difficiles, on peut parler de sens du compromis. Mais souvent, il s’agit plutôt de rencontre qui produit une vraie richesse dans les interprétations.
- 3e challenge : Écoles et transculturalité
melting-pot (🇫🇷/🇱🇷/🇬🇧/🇩🇪)
Ces rencontres musicales sont parfois l’expression de différences culturelles profondes. On est en plein dans la question de l’interculturalité ou de la transculturalité.
En effet, on entend souvent qu’il n’y a plus d’écoles nationales avec un monde globalisé, avec la diffusion de la musique sur le net (Youtube et autres).Et pourtant il est fascinant d’observer que dans ce type de contexte, ce sont juste ces spécificités qui ressortent. Sans céder à la tentation de réduire les différences à des clichés, on note des affinités particulières et des centres d’intérêt marqués.
Par exemple, en tant que musicien européen, il est très instructif de jouer avec des musiciens formés aux Etats-Unis. Il y a clairement des différences dans l’attention portée à la projection du son, à la quête d’une unité dans le groupe ou à la préservation d’une qualité de son constante quelle que soit le type d’expression musicale. On observe aussi des différences dans la relation aux styles, à la lecture du texte ou même dans la relation à la scène, « performer ».
Je pourrais d’ailleurs développer cette question sur ces différences entre francais et allemand ou anglais. Cela fera l’objet d’un post à part entière !
Cela se traduit aussi par des « standards » ou des attentes parfois divergentes sur la préparation et la conception du professionnalisme. Professionnalisme qui pour certains se traduit par apprendre vite sur place, pour d’autres par préparer en amont.
En résumé, chacun amène son package, son background. On pourrait dire qu’un groupe de musiciens en festival est finalement un melting-pot qui, quand la mayonnaise prend et que l’alchimie opère, produit des merveilles !
La communication (non) violente en répétition
Du fait de ces différences culturelles et de ces rencontres ponctuelles, un des véritables enjeux de la formation d’un groupe qui fonctionne selon moi, va être la communication.
En effet, avec des partenaires habituels, souvent on finit par parler un même langage, on n’a plus besoin de prendre de détours pour faire une suggestion. On peut « y aller » sans avoir peur d’offenser.
Dans des situations parfois stressantes de répétitions en festival, quand on court après le temps et que l’on ne se connaît pas bien, il peut être difficile de « s’entendre ». Sans parler du fait que le huis clos propre au festival n’aide pas toujours à prendre la distance nécessaire. Une vraie expérience d’humilité et de développement personnel où on se dit que « l’enfer, c’est les autres »… ou le paradis : tout dépend !
To drink or not to drink …🍷
Heureusement pour dénouer les tensions passagères, il y a les repas partagés, les soirées où l’on passe plus de temps à échanger, à se confier, ou de manière plus légère à se raconter des potins. Une forme d’intimité qui permet de faire connaissance à travers la musique et en-dehors.
Mais attention, car là aussi, il faut bien gérer son énergie et quelque fois, il est dur de décider entre poursuivre une conversation passionnante ou aller recharger ses batteries pour la longue journée qui nous attend. Sans parler de la question cruciale qui se pose parfois : to drink or not to drink !
Un pour tous, tous pour un… ou l’instinct de survie sur scène
Car même si les moments en amont sont essentiels à la qualité de l’expérience du festival, il y a une capacité à se fédérer qui survient au moment de la scène. On pourrait parfois parler d’un quasi instinct de survie sur scène, où une sorte de trêve se produit. Chacun dépasse des questions d’ego, peu importe les désaccords sur tels tempi ou directions à donner à tel phrasé; au moment T, chacun est connecté avec une sorte de sixième sens pour que cela fonctionne pour cet instant.
Il faut dire que l’influence du directeur artistique est grande sur l’esprit donné au groupe. Beaucoup de choses se jouent déjà dans le casting et dans la confiance que le dénominateur commun entre les musiciens sera l’amour profond de la musique et des choses bien faites. Partage de valeurs entre artisanat, curiosité et esprit d’ouverture.
Leicester 2018 : « vachement bien ! »
Cette année à Leicester, le groupe de musiciens était différent des trois années précédentes car plusieurs collègues britanniques, habitués du festival, ne pouvaient malheureusement pas être présents.
La rencontre avec les musiciens américains invités aura été très stimulante. J’ai d’ailleurs appris plein de choses auprès d’eux cette semaine, que ce soit des détails techniques ou des manières d’aborder les répétitions. Il n’y a pas de fin au développement de l’artisanat qu’est la technique instrumentale !
Et c’était un immense plaisir que de retrouver des partenaires habituels, comme Nicholas Daniel, oboiste anglais dont l’émotionnalité et la sonorité sont incomparables ou Katya Apekisheva, merveilleuse pianiste d’origine russe avec laquelle j’ai joué la 2e Rhapsodie de Bartok, une pièce chère à mon cœur car je l’ai étudiée sous la direction du compositeur hongrois Gyorgy Kurtag lors de mes études au CNSM de Paris.
Un autre moment mémorable a été de jouer une pièce de Martinu avec thérémine. Si,si ! Vous savez, cet instrument électronique inventé en 1919. Le thérémine est ce qui se rapproche le plus d’un tour de magie puisque le son est produit sans que l’instrument ne soit touché, un « sans contact » insensé à observer car l’instrumentiste fait des gestes fascinants.
Regardez plutôt ca :
C’était également passionnant de travailler avec la compositrice américaine Thea Musgrave qui depuis ses 90 ans dégageait une vitalité impressionnante et arrivait à insuffler vie à chacune de ses œuvres lors des répétitions. Elle nous a expliqué, épaulée par son mari, le contexte, « l’histoire » derrière chaque séquence musicale. Thea a d’ailleurs étudié à Paris auprès de Nadia Boulanger. Ce qui explique que lorsque notre manière d’interpréter lui plaisait, elle me disait :
« Voilà, c’est vachement bien ! » 🙂
Le blues post-festival : … en route vers la suite !
Alors oui, le festival de musique de chambre, c’est le summum de l’art de l’éphémère.
Une fois la semaine terminée, chacun repart dans ses pénates ou vers son prochain engagement. La bulle éclate et c’est souvent un retour à la réalité qui frôle avec une sensation de blues que mes collègues et moi connaissons bien.
Alors, rien de tel que d’enchaîner immédiatement après.
Et cette semaine, c’est un programme de récital qui m’attend avec un « vieux compère », le pianiste Aurélien Pontier. Nous jouerons Schumann, Brahms, Mendelssohn à Düsseldorf au Palais Wittgenstein sur l’invitation du Heinrich-Heine Institut.
Il s’agira là d’un autre exercice de style.
Je vous en parlerai bientôt !
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#unevieenviolon #alifewithaviolin
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